Caroline, floricultrice en Lorraine : “J’ai envie de cultiver des fleurs qu’on ne trouve pas ailleurs”
Sessile donne la parole aux professionnels de la filière, qu’ils soient fleuristes ou producteurs, pour comprendre leurs enjeux et leur vision de la fleur de demain. Cette semaine, nous avons rencontré Caroline, fondatrice de la Ferme florale de Sânon en Lorraine.
Crédit photo : Anne Mangeon
Bonjour Caroline, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je m’appelle Caroline, et j’ai fondé la Ferme Florale de Sânon, du nom du ruisseau qui traverse nos terres, ici en Lorraine. J’ai d’abord fait des études de droit, avec un master en droit de l’environnement. À l’époque, je ne me destinais pas du tout à cultiver des fleurs !
J’ai travaillé dans une association d’éducation à l’environnement, notamment auprès d’enfants. Puis, après une première reconversion, je me suis tournée vers la littérature jeunesse et j’ai travaillé en médiathèque. C’était une période difficile, et quand le Covid est arrivé, j’ai ressenti un vrai besoin de retour à la terre.
J’ai commencé par cultiver mon jardin, ce qui m’apportait beaucoup de réconfort. Je voulais faire pousser quelque chose, et j’ai eu envie de quelque chose de plus original que les légumes. En cherchant de l’inspiration, je suis tombée sur une ferme florale américaine, Flowrett, et j’ai compris que je voulais en faire mon quotidien.
J’ai planté mes premiers bulbes en 2020. L’aventure s’est concrétisée en avril 2023, avec la création officielle de la Ferme Florale de Sânon — la première ferme florale de la région Lorraine. Et ce, malgré un climat parfois rude.
Aujourd’hui, je vends principalement mes fleurs à des fleuristes du coin, à la tige. Le reste de ma production, je la vends auprès de particuliers, notamment via mes prestations événementielles et les abonnements que je propose.
Qu’est-ce qui vous anime au quotidien ?
J’ai lancé mon activité avec la volonté de la conduire en accord avec mes valeurs, c’est-à-dire avec un impact minimal sur l’environnement. Je n’utilise pas de pesticides, ni de produits chimiques : pour moi, c’est non négociable. Je suis productrice en bio, et j’ai tenu à obtenir le label pour rendre visible tout ce que je mets en place.
J’utilise un maximum de matière végétale, je récupère l’eau de pluie, je replante des haies, favorise la biodiversité… Ma ferme florale est elle-même une démarche globale en faveur de la biodiversité.
Ce que j’aime, c’est chercher l’originalité. J’ai plus de 100 espèces cultivées, et jusqu’à dix variétés par espèce. Mon but : proposer des fleurs qu’on ne trouve nulle part ailleurs. J’essaie toujours de sortir des sentiers battus. Par exemple, aujourd’hui, il est très difficile de trouver des roses avec une longue tige. Moi, je replante des roses anglaises, doubles et parfumées.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez au quotidien ?
C’est sans hésiter le climat, comme pour tout agriculteur, évidemment, puisqu’il est impossible de le maîtriser. Ce week-end encore, on a eu de la grêle. C’est dur, surtout quand tout repose sur la fleur.
Ensuite, il y a la question de l’organisation : c’est très difficile de prévoir à l’avance quand une fleur arrive à maturité. Au-delà de 2-3 jours, c’est l’inconnu. Or, les fleuristes ou les mariés aimeraient avoir plus de visibilité. Il faut qu’ils acceptent une certaine flexibilité, ce qui n’est pas toujours évident.
Et puis il y a la question de l’écoulement de la production : mes premiers clients sont toujours là, mais il s’agissait de fleuristes déjà sensibles à ma démarche ; aujourd’hui j’ai du mal à élargir le cercle. Heureusement, la vente via un grossiste me permet d’élargir un peu mon cercle. Par ailleurs, je constate une demande croissante pour les fleurs françaises, ce qui.
Quel lien entretenez-vous avec les fleuristes ?
Tout dépend des profils qui viennent me rendre visite. Certains viennent chaque semaine et s’adaptent à ce que j’ai en stock ; avec eux, il y a un vrai échange. Ce sont souvent des fleuristes engagés qui partagent ma philosophie, qui acceptent aussi de tester de nouvelles variétés, moins connues. D’autres passent ponctuellement pour un événement ou parce qu’ils ont une commande particulière.
Pour continuer à toucher ces fleuristes plus occasionnels, il faut réaliser un vrai travail de pédagogie et leur faire découvrir des fleurs qu’ils ont moins l’habitude de voir en magasin. De mon côté, j’ai envie de produire des fleurs qu’on ne trouve pas ailleurs. Par exemple, j’ai de j’ai de très belles variétés de narcisses, qui se vendent mal parce que c’est une espèce qu’on voit peu dans les bouquets.
Quel regard portez-vous sur la question des pesticides ?
Ce n’est pas nouveau. L’affaire de la petite Emmy Marivain a permis de mettre en lumière ce phénomène, mais les fleuristes et tous les professionnels de la fleur étaient a priori déjà au courant des effets néfastes des pesticides. On assiste à une prise de conscience, mais encore faut-il agir. J’ai peur qu’on se contente de mettre des gants pour manipuler les fleurs, sans aller plus loin.
Personnellement, je n’ai jamais utilisé de produits chimiques. Je préfère les alternatives mécaniques ou naturelles, même si elles sont très chronophages. Par exemple, pour protéger mes dahlias, je mets un pochon en organza sur chaque bouton pour éviter que les punaises ne les mangent. J’utilise aussi des purins bio contre les thrips, des associations de plantes, des couvre-sols pour le désherbage… Et j’aimerais tester les insectes auxiliaires, comme les larves de coccinelles, pour lutter contre les pucerons.
Dans un monde idéal, que faudrait-il pour aider les fermes florales comme la vôtre ?
Je trouve que la fleur française manque de visibilité, surtout auprès des fleuristes. On parle beaucoup des gros producteurs, mais très peu des petites fermes florales. On devrait valoriser les modèles à taille humaine, montrer comment on fonctionne, comment on travaille.
Et surtout, il faudrait aussi sensibiliser les consommateurs. Aujourd’hui, on encourage beaucoup l’installation de producteurs… mais moins les changements du côté de la demande. À un moment donné, on va produire plus que ce qu’on peut vendre si rien ne change dans les mentalités.
Qui sommes nous ?
Sessile lutte pour l’indépendance des artisans fleuristes sur Internet. Fondé en 2019 par 6 amis, Sessile rassemble 500 fleuristes, engagés dans la transformation de la filière et permet déjà de livrer plus de 50% des Français. En brisant la logique de catalogue sur Internet, le réseau met en avant le savoir-faire de chaque fleuriste et contribue à faire vivre l’art floral. Les fleuristes peuvent faire vivre leur passion et conçoivent des bouquets plus créatifs car ils sont ainsi plus libres de proposer des fleurs de saison, des fleurs locales quand c’est possible.