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04.03.24

A l’origine de l’usage des fleurs, rencontre avec Valérie Chansigaud

Quelle place les fleurs occupent dans nos vies ? Pourquoi nous en offrons-nous et qu’est-ce que cela signifie ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre Valérie Chansigaud, historienne spécialiste de la relation des communautés humaines avec leur environnement. Sessile l’a rencontrée pour aborder la question des fleurs sous un nouveau jour.

Madame Chansigaud, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Valérie Chansigaud et je suis historienne. Je m’intéresse tout particulièrement à la question des relations entre l’espèce humaine et son environnement naturel, du XVIIe siècle à nos jours, avec de nécessaires incursions dans des époques plus lointaines pour avoir des éléments de comparaison.

Après m’être intéressée à la question de la relation profonde des êtres humains avec les animaux, il m’a semblé assez naturel d’étudier le rapport que nous entretenons avec les végétaux, en particulier les plantes ornementales, et ce que cela dit de nos sociétés. J’ai publié à cet égard Une histoire des fleurs en 2014 pour aborder la place qu’elles occupent dans notre quotidien, et interroger le coût environnemental de cette pratique. 

Pourquoi s’offre-t-on des fleurs ?

Un facteur explicatif, avancé par l’anthropologue Jack Goody qui a rédigé La Culture des fleurs, émet l’hypothèse que la valeur ornementale des fleurs n’est perçue que dans des cultures qui ont une organisation hiérarchique, où elles font office de distinction sociale. 

Pour ainsi dire, la fleur témoigne du rang d’un individu au sein de la société. C’est notamment le cas en Inde, où l’usage des fleurs varie très fortement d’une caste à l’autre. En Europe, cela s’explique par le fait que c’est d’abord dans les jardins privés que l’on retrouve des fleurs ornementales, jardins qui sont évidemment l’apanage des classes aisées. C’est aussi pour cette raison qu’on retrouve les fleurs lors des cérémonies collectives comme les mariages ou les funérailles, qui se prêtent parfaitement à l’affirmation du rang social. 

Il faut cependant préciser que ce phénomène ne s’observe pas à la même échelle partout dans le monde : toutes les cultures n’ont pas les mêmes pratiques des fleurs, et certaines ne les cultivent d’ailleurs pas pour leur vocation ornementale comme c’est le cas en occident aujourd’hui. Par exemple, on ne retrouve pas ces pratiques en Afrique de l’Ouest, qui est pourtant une zone où l’industrie florale est très intense aujourd’hui. 

Au XIXe siècle, on constate une forme de démocratisation de la pratique des fleurs qui se diffusent plus largement dans les sociétés européennes, en grande partie en raison de la semi-industrialisation de la culture des fleurs.

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Quand commence-t-on à observer des cultures de fleurs à vocation ornementale ?

Les fleurs ont d’abord été cultivées pour leur utilité et non pour leur simple apparence. Par exemple, on a retrouvé des traces de jardins dédiés à la culture de roses à Pompéi, mais il semblerait que celles-ci aient été cultivées pour confectionner du parfum. On peut considérer que c’est en Europe à la Renaissance qu’émerge de manière significative la culture des fleurs à vocation ornementale, avec l’apparition de jardins exclusivement dédiés à la culture de fleurs.  

S’il faut évoquer un événement en particulier, il est difficile de ne pas mentionner la tulipomanie qui s’est déroulée aux Pays-Bas au XVIIe siècle, qui a été la cause de la première bulle spéculative du monde. L’importation de la tulipe de Turquie dans les Provinces-Unies est à l’origine de cette crise. Certaines tulipes présentaient une malformation d’origine virale affectant les bulbes, et se traduisant par la présence de marques blanches sur les pétales. 

Les possesseurs de jardins hollandais ont cherché à reproduire cette malformation, qui rendaient les tulipes qui en étaient atteintes plus rares, et donc plus chères, que les autres. La lecture des ouvrages botaniques de l’époque témoignent d’ailleurs que les tulipes sans panachures n’avaient aucune valeur en soi. Ce qui rendait les tulipes malformées plus digne d’intérêt, c’était précisément l’incertitude quant à la reproduction des bulbes atteint de la malformation. 

L’engouement pour les tulipes s’est par la suite traduit par la naissance d’une bulle spéculative liée à l’essor incontrôlée du prix du bulbe, et dont l’éclatement est à l’origine d’une crise financière majeure.

Vous abordez à plusieurs reprises le coût environnemental des fleurs ; pouvez-vous résumer les conclusions de vos recherches à ce sujet ?

Il est évident que la production de fleurs coupées a de nombreux effets sur l’environnement : le marché de la fleur présente évidemment les mêmes caractéristiques que n’importe quel autre marché mondialisé. Par exemple, lorsqu’on songe au marché des smartphones, il repose sur des bases assez peu éthiques. Le problème en soi n’est pas tant la culture des fleurs que le fait que celle-ci s’inscrive dans la même dynamique que les autres secteurs, où l’on prend insuffisamment en considération l’épuisement des ressources et les conséquences sur la biodiversité.

La mondialisation du marché et les échanges internationaux de fleurs présentent d’autres inconvénients environnementaux, comme la propagation de nuisibles exogènes en Europe, principalement des insectes ou des petits organismes, qui ne sont pas pathogènes en soi mais qui peuvent ravager les cultures. 

Il faut aussi mentionner dans une certaine mesure le coût social de la culture des fleurs. La culture de fleurs sous serres, notamment aux Pays-Bas, étant coûteuse sur le plan économique et environnemental, les obtenteurs ont délocalisé la production de roses au Kenya dans les années 90, principalement pour son climat mais également pour sa main d’œuvre abondante et peu coûteuse. Ce sont principalement des femmes qui travaillent sur ces exploitations rosicoles ; or lorsqu’une profession est très majoritairement féminisée, c’est que les conditions de travail sont dégradées.  

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Sessile lutte pour l’indépendance des artisans fleuristes sur Internet. Fondé en 2019 par 6 amis, Sessile rassemble 500 fleuristes, engagés dans la transformation de la filière et permet déjà de livrer plus de 50% des Français. En brisant la logique de catalogue sur Internet, le réseau met en avant le savoir-faire de chaque fleuriste et contribue à faire vivre l’art floral. Les fleuristes peuvent faire vivre leur passion et conçoivent des bouquets plus créatifs car ils sont ainsi plus libres de proposer des fleurs de saison, des fleurs locales quand c’est possible.